Docteur Roch Christian Johnson
Président de l’ILA et conseiller médical à la Fondation Raoul Follereau
En quoi l’île d’Agonvé est un projet pilote ?
« Cela faisait plusieurs années que nous réfléchissions à un moyen de faire évoluer nos stratégies de lutte contre la lèpre. Nous nous rendions bien compte que les problèmes de santé des communautés où la lèpre est endémique, c’est-à-dire présente en permanence, ne sauraient se réduire uniquement au dépistage et à l’administration de la PCT. Par exemple, un malade avec une infirmité au niveau des mains et des pieds doit se les laver quotidiennement avec de l’eau et du savon pour prévenir des infections. Comment cela pourrait-il être possible si le village ne dispose pas d’un bon approvisionnement en eau et si l’eau potable est une denrée rare, voire inexistante ?
De plus, lorsque nous allons dépister seulement la lèpre, les malades sont parfois stigmatisés par la communauté. Pour éviter ce phénomène, nous présentons le dépistage comme un moyen de soigner toutes les maladies dermatologiques courantes. Sur le plan éthique, il est difficile de soigner uniquement les malades de la lèpre et de laisser de côté les autres maladies cutanées rencontrées au cours du dépistage de la lèpre.
Ces raisons nous ont progressivement amené à proposer, pour les communautés endémiques, une stratégie globale en quatre volets : dépistage et prise en charge des maladies dermatologiques courantes y compris la lèpre ; intervention Eau Hygiène et Assainissement dénommée « WASH » ; auto-soins des plaies et enfin la prise en charge inclusive du handicap qu’il soit dû à la lèpre ou à d’autres maladies. C’est ce que nous essayons de mettre en œuvre à Agonvè. »
Pouvez-vous faire un point de situation sur le projet ?
A ce jour, nous avons commencé les trois premiers volets. Les écoliers du village et les femmes, réunies en groupement villageois, bénéficient déjà des programmes de sensibilisation à l’eau, l’hygiène et l’assainissement par nos deux animateurs Nadia et Hilaire. Deux fontaines Safe Water Cube ont déjà été installées sur l’île pour l’approvisionnement en eau potable. Nous en attendons une troisième.
Tous les ménages du village ont bénéficié d’une consultation dermatologique dans la semaine du 19 novembre. Les cas de lèpre recevront un traitement spécifique tandis que les personnes indemnes de lèpre recevront un traitement prophylactique pour stopper la transmission de la lèpre sur l’île. Tous les enfants de l’école, en plus de ce traitement prophylactique, seront déparasités afin de traiter les parasitoses intestinales qui sont endémiques sur l’île.
Par ailleurs, les malades de la lèpre, présentant malheureusement des séquelles aux pieds par exemple, bénéficient du programme auto soins appelé Wound Care. Flora et Paulin, deux animateurs, s’occupent de ce volet. Ils dispensent de l’éducation sanitaire aux personnes présentant des séquelles afin de les aider dans l’auto-soins. Un programme très simple de soins des plaies est établi et enseigné. Pour cela, il faut prendre en compte les savoirs des populations et faire le tri entre les bonnes pratiques et celles qui sont à proscrire. Les agents du programme rendent visitent régulièrement aux patients pour les écouter et les aider à trouver des solutions simples aux problèmes rencontrés.
Nous allons, dès l’année prochaine, former les groupements de femme à la fabrication de savon et construire dans les écoles des latrines écologiques appelées Ecosan. »
Comment a été accueilli le projet par la population ?
« La population accueille très favorablement le projet ! Leur grande implication en est la preuve. Le village avait déjà une bonne base associative avec des groupements d’hommes, d’un côté, et de femmes, de l’autre. Nous nous sommes appuyés sur cette organisation pour notre projet. »
Qu’est-ce que la PCT ?
Mise au point avec le concours de la Commission médicale et scientifique Follereau, une polychi-miothérapie (PCT) composée de trois antibiotiques tue le bacille et guérit le malade en 6 ou 12 mois selon la forme de sa lèpre (paucibacillaire ou multibacillaire).
Gratuit pour les malades, le traitement coupe la chaîne de transmission, mais doit être administré dès l’apparition des premiers signes de la maladie pour éviter les mutilations. La PCT guérit le malade, mais ne répare pas les invalidités constituées.