Depuis les années 1980, le nombre de malades atteints par la lèpre chaque année, au Bénin, a été divisé par six. Cette grande avancée est le fruit de quarante années de travail et d’une coopération qui se poursuit entre des acteurs engagés et pleinement dévoués aux malades.
« On ne travaille jamais seul contre la lèpre. » Ancien responsable du Centre de traitement anti-lèpre (CTAL) de Parakou, au centre du Bénin, Hyacinthe Ametepe est venu prêter main forte, ce matin-là, à son successeur, Illiassou Sabi Dera. Empruntant une route bordée d’échoppes et de karités, les deux infirmiers superviseurs de la lèpre se dirigent vers le centre de santé de Tchatchou, au centre du pays. À leur arrivée, le dispensaire bruisse de mouvements, de couleurs et d’échanges. Une quarantaine de personnes ont répondu à l’appel du crieur public qui, durant quatre jours, a annoncé le dépistage dans les villages alentour. La mission commence par un temps de sensibilisation en langue locale, et se poursuit avec les consultations. Toutes les maladies de peau sont alors examinées et soignées. Ce dépistage dit intégré est l’une des stratégies mises en place au Bénin pour repérer la lèpre tôt, à l’état de simples taches, avant qu’elle ne se traduise par des griffes ou des amputations.
« Le défi aujourd’hui c’est d’expliquer à la communauté des 13 millions de Béninois que la lèpre, c’est une tache et non des complications », souligne le Dr Jean-Gabin Houezo, coordonnateur du Programme national de lutte contre la lèpre et l’ulcère de Buruli (PNLLUB). Ce jour-là, à Tchatchou, aucun cas de lèpre ne sera dépisté mais plusieurs personnes se révèleront atteintes de la gale, une autre maladie tropicale négligée.
Un réseau d’acteurs se déploie sur tout le territoire
Au Bénin, jusqu’à la fin des années 1980, les malades de la lèpre recevaient un traitement à vie, la dapsone, et demeuraient pour la plupart dans des léproseries tenues par des religieux dévoués. Le traitement par la polychimiothérapie (PCT) est introduit dans le pays en 1987, dans la zone pilote du Zou où le prêtre infirmier Christian Steunou développe le centre de Davougon. L’essai est un succès, la PCT – qui permet une guérison en 6 à 12 mois – est appliquée dans tout le pays. Jusqu’alors réservée à un personnel de santé à part, la lutte contre la lèpre devient une activité de santé primaire.
Un réseau d’acteurs se structure et va mailler progressivement tout le territoire, avec une supervision de chaque niveau par le niveau supérieur : dans les communes, les infirmiers et les agents de santé, au plus proche de la population, apprennent à repérer les taches et à suivre les traitements. En cas de doutes ou de complications, ils orientent les malades vers l’un des 77 infirmiers superviseurs de la lèpre (ISL). Identifiés pour leurs compétences et leurs qualités humaines, les ISL reçoivent une formation spécifique et sont les chevilles ouvrières de la lutte contre la lèpre sur le terrain. Au niveau départemental, huit CTAL publics et privés comme ceux de Parakou, Davougon ou Majdrè, assurent le traitement des malades, prennent en charge les complications et abritent certains anciens malades, prennent en charge les complications et abritent certains anciens malades. À Pobè, le CDTLUB (*) bâti en 2004 à la demande de l’État béninois par la Fondation Raoul Follereau et géré par elle, est une référence et offre une prise en charge multidisciplinaire de la lèpre et d’autres dermatoses. Enfin, le PNLLUB (*) est la clef de voûte du système et assure l’interface avec les partenaires. Actrice historique, la Fondation Raoul Follereau a dès l’origine apporté son soutien : « au début, aux côtés du ministère, nous ne connaissions que Follereau » se souvient Juste Houessou. M. Houessou est un ancien reconnu parmi les acteurs de la lutte contre la lèpre au Bénin :
« Ce qui m’a plu dans mon métier, c’est l’humain. Le malade de la lèpre, c’est un tout. Il faut aller le voir, s’intéresser à lui : qu’est-ce qui peut le freiner, l’empêcher de suivre le traitement ? Est-ce que sa famille le soutient ? »
Cette qualité d’attention et cette disponibilité aux malades apparaissent essentielles et partagées par les soignants de la lèpre. De la première génération des ISL, M. Houessou a connu la période des grandes endémies dans les années 1980 et les consultations foraines des années 1990. À cette époque, la Fondation fournit motos et véhicules aux équipes locales pour leur permettre d’assurer ces dépistages de masse dans les villages. Plus de 600 nouveaux malades sont alors dépistés par an dans le pays. Afin d’accueillir ces derniers dans les CTAL, les équipes veillent à réinsérer chez eux les malades guéris.
« Sans bruit, ils sont tout donnés aux malades »
Au regard de tous les acteurs de la lutte contre la lèpre, la réinsertion des anciens malades est indispensable. Les malades arrivent au CTAL pour être examinés, recevoir leur traitement ou des soins pour des complications, mais n’y demeurent plus à vie. Des infirmiers, des agents de santé ou des assistants sociaux dans certains CTAL, vont leur rendre visite jusque dans les hameaux les plus éloignés. À Davougon, cela a été l’une des préoccupations du père Christian Steunou : « J’ai toujours refusé de créer un village de lépreux. Dès le départ, nous avons proposé aux malades de les aider à rentrer chez eux. Au besoin, nous demandions au chef de famille de nous céder un bout de terrain et nous l’aidions à y construire une case. » Depuis devenu un doyen réputé, le père Christian a inspiré de nombreux soignants au Bénin, tel le docteur Houezo :
« Rencontrer des soignants comme le père Christian qui travaillent dans l’ombre, sans bruit, avec le sens du devoir, donnant tout leur temps à ces personnes vulnérables, a soulevé en moi le désir d’être utile et servir les autres. »
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Cette cohésion entre les différents acteurs d’une part, et les stratégies mises en place au fil des ans d’autre part ont conduit à de grandes avancées dans la lutte contre la lèpre au Bénin. En 2023, moins d’un habitant sur 10 000 est touché par la lèpre, et moins d’une centaine de malades sont dépistés par an. Néanmoins, il existe une forte disparité entre les régions : le Zou, l’Atacora et le Plateau de l’Ouémé sont les zones les plus touchées où se focalisent aujourd’hui les actions du PNLLUB. Avec recul, l’ISL Houessou perçoit les enjeux actuels : « En santé publique, l’effort que l’on déploie lorsque les cas sont rares est beaucoup plus important. Il faut des moyens pour aller chercher les malades. » Sensibiliser et impliquer la population, donner les moyens aux agents de santé de rejoindre les malades jusque dans des lieux isolés, organiser des dépistages actifs, autant de clefs essentielles, aux yeux des soignants, pour parcourir « le dernier kilomètre ».
Cette longue chaîne d’acteurs luttant contre la lèpre se révèle unie par une vocation, la passion de l’humain. Ancienne responsable du CTAL de Madjrè, à l’ouest du pays, Sœur Alphonsine l’exprime ainsi :
« Quand les malades constatent qu’on les aime, qu’on n’a pas peur d’eux, ils vont suivre tout ce qu’on leur recommande. J’ai accueilli les malades et ils m’ont accueillie. Je ne les abandonne pas, je fais tout ce que je peux pour eux. »
CDTLUB : centre de traitement de la lèpre et de l’ulcère de Buruli
CTAL : centre de traitement anti-lèpre
ISL : infirmier superviseur de la lèpre
PNLLUB : Programme national de lutte contre la lèpre et l’ulcère de Buruli
Photographie en couverture : à Parakou, une élève-infirmière aide une malade à pratiquer l’auto-soin. ©Marie-Capucine Gaitte