En périphérie de Ouagadougou, au Burkina Faso, se trouve l’un des points chauds de la capitale : le quartier de Pissy. Derrière les maisons aux murs ocres, l’exploitation artisanale d’une immense carrière de pierres à ciel ouvert fait vivre chaque jour environ 4 000 personnes : hommes, femmes et enfants.
Le bruit cadencé des pioches frappant la roche n’a pas cessé depuis l’aube. Le soleil est au zénith et la chaleur intense. Cela fait des heures que les ouvriers creusent le granit. Loin des regards, ils sont des milliers à travailler dans la carrière sauvage de pierres du quartier de Pissy. Ce site est l’un des points chauds de la capitale du Burkina Faso. Exploitée depuis la période coloniale, la carrière ne fait que s’agrandir. Toujours plus large, toujours plus profond, toujours plus toxique, l’immense cratère qui s’est formé au fil des années est surnommé « le trou ».
Entre 400 et 700 enfants travaillent dans la carrière
« Vous voyez cette route bétonnée au bout de la rue ? C’est avec le granit extrait ici qu’elle a été construite », lance Claude-François Ouedraogo. Coordinateur de l’association des enfants et des jeunes travailleurs du Burkina Faso (AEJTB), il se bat pour sortir les enfants et jeunes filles de la carrière. « Je suis un ancien enfant travailleur et j’en ai souffert. C’est pour cette raison que je me suis engagé dans cette association », confie Claude-François Ouedraogo. Si l’existence d’un tel endroit n’est un secret pour personne, le nombre d’enfants qui travaillent dans la carrière de pierres reste inconnu. Joséphine Wouango, professeur de sociologie ayant réalisé une enquête approfondie sur les enfants de la carrière de Pissy, estime qu’il y a, selon les saisons, entre 400 et 700 enfants[1].
« La plupart des enfants qui sont présents sur le site accompagnent leurs parents », souligne Claude-François Ouedraogo, « notre association propose d’accueillir ces enfants la journée pour les sortir de la carrière. Nous avons créé une petite école maternelle qui accueille soixante-dix enfants. » Cette école est soutenue par plusieurs ONG dont la Fondation Raoul Follereau, qui a rénové les locaux et le ministère de la Famille qui organise les formations des moniteurs.
Il existe de multiples raisons pour lesquelles les parents amènent leurs enfants sur le site, avec un dénominateur commun : la pauvreté. Ainsi, les parents qui n’ont pas les moyens de scolariser leurs enfants préfèrent les garder avec eux pour les surveiller. Pour d’autres, ils sont une source de revenus supplémentaire pour la famille.
Au Burkina Faso, plus des deux cinquièmes des enfants âgés de 5 à 17 ans sont économiquement actifs, alors que le Code du travail interdit le travail des enfants de moins de 16 ans. Le pays est signataire de la Convention relative aux Droits de l’Enfant et de la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant. En 2017, le gouvernement burkinabè a adopté un nouveau décret en appui au programme national de lutte contre le travail des enfants. Ce décret liste l’ensemble des travaux dangereux pour les enfants. « Le travail des enfants dans la carrière est défini et catégorisé dans la législation nationale comme relevant des travaux dangereux et il est donc interdit. L’article 5 du décret du 22 avril 2009 précise que l’interdiction du concassage de minerai est due aux ‘‘poussières nuisibles, blessures, postures inconfortables’’. »[2], explique Joséphine Wouango dans son travail de recherches. Dans les faits, rien n’empêche les enfants de venir travailler à la carrière. Ils s’exposent à de multiples dangers.
Des méthodes inchangées depuis la période coloniale
Dans la carrière de Pissy, les méthodes d’exploitation sont plus qu’archaïques, sans protection pour les ouvriers. Les hommes achètent des pneus à 3000 francs CFA les dix puis les font brûler au fond de la carrière pendant trois jours afin de fendre la roche, dégageant ainsi de volumineux nuages de fumée noire ultra toxique. Parfois, des vieilles tongs en plastique font l’affaire.
Au sein de carrière, entre les tas de granit, des abris s’égrènent le long du sentier qui mène au trou. Quatre maigres bout de bois et une bâche usée offrent un peu d’ombre aux concasseurs. Le peu de vent qui souffle laisse entrevoir des enfants, burin à la main, assis sous ces abris. Ils concassent la pierre à côté de leur mère. Les enfants sont les plus fragiles et développent des maladies pulmonaires telles que l’asthme. Plusieurs fois par jour, ils font des allers-retours pieds nus entre le trou et la surface, sur des sentiers raides, zigzagant entre les tas de ferrailles rouillées issus des pneus brûlés. La pluie est aussi l’un des dangers. « Il arrive que des enfants se noient quand le trou se rempli d’eau lors de la saison des pluies », explique Claude-François Ouedraogo, « les gens se cotisent pour extraire l’eau mais cela n’empêche pas les accidents. »
Au-dessus du « trou », des pierres de toutes les tailles sont amassées sur un terrain vague tandis que s’agitent autour, armés de pioches ou de burins, hommes, femmes et enfants. Soudain, à l’approche du cratère, une femme semble sortir des entrailles de la terre, suivie d’une seconde puis d’une troisième. Elles portent toutes d’énormes blocs de granit, calés sur un chèche coloré au sommet de leur tête. Maigres, les traits tirés, le visage fermé, elles avancent à pas comptés, avec lenteur et précision, les doigts tendus sur la pierre. « Tout est très organisé dans la carrière », explique Aziz, animateur à la petite section de la garderie de l’AEJTB et ancien enfant travailleur, « je suis venu travailler dans le trou lorsque j’étais adolescent. Les hommes extraient la roche et la brisent en plusieurs blocs. Les femmes achètent ces blocs le matin pour les concasser en tailles différentes. » Ces dernières paient d’autres femmes ou enfants pour faire remonter le granit du trou.
Les graviers sont ensuite vendus à des grossistes qui les revendent ensuite. Le granit sert à construire des maisons ou encore des routes. Le système de vente est défavorable pour les travailleurs. Le grossiste paie celui ou celle qui lui a fourni les pierres une fois qu’il a parvenu à vendre l’ensemble de la production à l’extérieur. « Il n’y a pas de chef de carrière ici », explique Aziz, « chacun connaît sa place pour travailler et chacun a sa clientèle. » Pour tenir le rythme, le coordinateur de l’AEJTB confie que certains ouvriers consomment des stupéfiants sur le site.
Sensibiliser les parents
Si Claude-François Ouedraogo croit en l’éducation pour sortir les enfants de la misère, ce n’est pas le cas de tous les parents. L’association doit s’armer de patience envers les bénéficiaires qui ont du mal à quitter la carrière. « C’est tellement plus rapide pour gagner de l’argent », déplore le coordinateur, « nous essayons de sensibiliser les mères aux dangers de la carrière pour les enfants. »
« Tu dois travailler fainéant ! » Au milieu d’un tas de gravats, un homme au bonnet péruvien secoue vigoureusement un autre, qui fait semblant de dormir. « Ce n’est pas bien de laisser travailler tes enfants à la carrière. Ils pourraient devenir président de la République si tu les envoyais à l’école. » La foule rit à gorge déployée. Ces deux hommes sont en réalité des acteurs. Ces spectacles sont un moyen de sensibiliser les groupements de femmes de la carrière et leurs enfants. A la fin de la représentation, une femme interpelle une des formatrices de l’AEJTB : « Nous sommes conscientes que ce n’est pas une place pour les enfants mais comment pouvons-nous faire autrement ? » Il est difficile de quitter la carrière en raison de la misère. Ici, les familles peuvent gagner un peu d’argent tous les jours. Aziz, l’animateur de la garderie, admet retourner à la carrière pendant les vacances d’été. A ses yeux, « c’est mieux que de rester chez soi, les bras croisés. Et puis, tout le monde me connaît ici. » Père de trois enfants, il affirme travailler dur pour que jamais ses enfants ne soient obligés de descendre un jour dans la carrière pour gagner de l’argent.
Malgré tout, Claude-François Ouedraogo ne baisse pas les bras et souhaite développer la garderie. « J’aimerais accueillir cinquante enfants de plus. » Un souhait qui sera possible seulement s’il parvient à agrandir ses salles de classes et avoir assez de dons pour fournir les repas du midi aux enfants. En attendant, le projet de la garderie est un succès.
[1] WOUANGO Joséphine, « Travail des enfants et droit à l’éducation au Burkina Faso », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 10 | 2011, 127-141.
[2] WOUANGO Joséphine, « Travail des enfants et droit à l’éducation au Burkina Faso », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 10 | 2011, 127-141.
NOVEMBRE
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