Le Liban est en proie à une profonde crise politique, économique et financière. Face à la paupérisation galopante de la population, la Fondation Raoul Follereau est montée en première ligne dans le combat pour l’amour des plus démunis.
Le centre saint Joseph, dans le quartier chrétien Achrafieh à Beyrouth, est en effervescence. Cela fait plusieurs semaines que des cartons s’accumulent dans une succursale de l’église attenante au centre, laissant flotter dans les airs une odeur de lessive. « Nous stockons des colis remplis de produits de premières nécessités pour les plus pauvres », explique Roger Khairallah, chef de projets Moyen Orient de la Fondation Raoul Follereau, « depuis le début de la crise, j’ai distribué environ 200 colis alimentaires et produits d’hygiène par semaine dans tout le pays. »
Depuis trois ans, le Liban sombre dans la crise économique et financière sans précédent. Une crise qui connaît son apogée le 17 octobre 2019. Le peuple libanais, de toutes confessions confondues, descend dans la rue pour demander la fin d’un régime corrompu. « J’ai participé à toutes les manifestations », explique une jeune femme de Beyrouth le soir de l’annonce du nouveau gouvernement devant le barrage de police qui mène au Parlement, « nous n’avons plus d’espoir de changement mais nous restons mobilisés. » Au fil des mois, la population s’appauvrit de manière visible. Les banques sont en voie de faillite. Le dollar circule uniquement sur le marché noir ou est distribué à la banque avec parcimonie soit environ 200 dollars pour chaque prioritaires de compte. « Même lors de la guerre civile, nous n’avions jamais eu une crise financière aussi grave », déplore Roger Khairallah. Les entreprises ne peuvent plus importer, le prix des aliments et des médicaments se sont envolés, les salaires ont été divisés par deux tandis que 270 000 personnes ont perdu leur emploi au Liban depuis le début de la crise. Bien que toutes les classes sociales sont affectées, les premières victimes restent les personnes âgées, les enfants des familles déjà pauvres et les migrants. Si la crise est inédite, la réponse des Libanais l’est tout autant. Une immense chaîne de solidarité transfrontalière s’est mise en place au secours des plus démunis. La Fondation Raoul Follereau a joué un rôle moteur dans ce rouage de la charité par le biais de son représentant.
Une chaîne de solidarité inédite
A Beyrouth, derrière les murs suppliciés par les guerres civiles, sous les ponts, dans les rues, dans les appartements des drames se jouent en silence. Evelyne en est un des exemples les plus frappants. La trentenaire vit avec son mari et quatre enfants dans un deux pièces au milieu d’un quartier pauvre multiconfessionnel. Tous les six s’entassent devant l’unique radiateur de l’appartement. C’est l’hivers au Liban et le prix du fioul et de l’électricité ne permettent plus de se chauffer convenablement. L’un des garçon d’Evelyne souffre d’autisme et l’appartement semble se rétrécir encore lors des crises incontrôlables de l’enfant. « Seul mon mari travaille car je dois rester m’occuper de mon fils », souligne Evelyne. La jeune femme est pétillante malgré cette situation sociale difficile. « Bientôt, je ne pourrai plus payer les frais de scolarité de mes enfants », poursuit Evelyne. Dans le coin de la pièce principale, Roger dépose un carton de denrées alimentaires, discrètement. Pâtes, chaussettes, lessive, houmous… Le précieux paquet a été conditionné au centre Saint Joseph par un groupe bénévole de femmes de la paroisse. « Un médecin de la diaspora des Etats-Unis m’a contacté en octobre dernier », explique Roger Khairalla, « tous veulent aider le peuple libanais. Les dons ont commencé à affluer. Le père Gaby, directeur du centre Saint Joseph, et moi-même avons décidé de mettre nos efforts et les dons en commun pour aider les plus pauvres du pays. » Une fois stocké, les colis sont distribués du Nord au Sud avec les moyens du bord. « Nos partenaires de terrain dressent une liste des familles dans le besoin et viennent chercher les denrées. Souvent, c’est moi qui les apporte », souligne Roger Khairallah. Sa voiture chargée de lourds carton, il part direction Tyr, ville portuaire du Sud. « Les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition m’attendent avec les familles bénéficiaires. Elles connaissent bien les familles les plus démunis. Avant la crise, je distribuais ce type de colis à Pâques et Noël. Aujourd’hui, la demande a explosé. » Les embruns fouettent le visage. Le temps est glacial. Une femme confie : « J’ai perdu mon emploi il y a quatre mois. Je travaillais comme femme de ménage au diocèse. » A 64 ans, elle n’a plus d’espoir de retrouver un travail. « Mon fils de 33 ans est paralysé suite à un accident. Je n’ai plus les moyens de lui acheter ses médicament… » Le représentant fait le même constat à Rmeich, village chrétien près de la frontière avec Israël. Dans ce village au milieu des champs caillouteux, la Fondation Raoul Follereau aide principalement des couples âgés seuls et ayant à charge des personnes en situation de handicap. L’accès à la santé est donc une priorité dans ce contexte de crise. Au centre saint Joseph, avec la Fondation Raoul Follereau et les médecins de l’Hôtel Dieu de Beyrouth, un dispensaire de santé s’est monté en deux semaines afin d’offrir des soins gratuits aux plus pauvres.
Les prévisions ne sont pas optimistes pour l’avenir du pays. « Les dons en natures vont s’amoindrir. Il nous faut penser un système d’aide viable sur le long terme car le pays mettra cinq ans à se remettre de cette crise », avance Roger. Plusieurs projets sont en train d’être pensé pour recréer une macro économie. La Fondation Raoul Follereau a rejoint un collectif d’associations libanaise Fair Trade Lebanon, Arcenciel, IRAP et le centre Saint Joseph afin de joindre leurs efforts et moyens au service des plus pauvre et pour faire face à l’avenir incertain du Liban. « C’est notre saoura[1] à nous. »
[1] « Révolution » en arabe.