Au Congo-Brazzaville, la pandémie Covid-19 est une crise sanitaire qui s’abat sur un pays déjà fragilisé par une crise économique. Entre un système de santé défaillant et le risque croissant de pénuries alimentaires, des organisations humanitaires tirent la sonnette d’alarme.
« Dieu réside en Afrique ! » Cela ne fait aucun doute pour Lazare Mabona. « Au regard de l’état dans lequel se trouve notre système de santé et de nos traditions très communautaires, le virus aurait dû faire plus de dégâts à ce stade de la pandémie. » Lazare Mabona vit à Brazzaville et connaît bien le parcours classique des patients dans les hôpitaux publics et les dispensaires. Depuis plusieurs années, il est le représentant au Congo de l’Association de l’Amour Vivant (ASLAV), une association dont la mission principale est de former les soignants congolais ainsi que de soutenir les dispensaires dans les régions les plus reculées. L’ASLAV mène, en plus, deux grands projets : les campagnes de consultations avancées grâce à des bateaux-dispensaires dans les zones reculées et la prise en charge de la malnutrition infantile. « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la malnutrition infantile touche les familles installées en périphérie des grandes villes », explique le docteur Michel Salefran, président de l’ASLAV, « la région du Pool, au sud-ouest de Brazzaville est très touchée également. Sa population a toujours été en opposition avec le gouvernement. Au cœur de la guerre de 1998, elle a subi une forte répression. Nous avons eu dans cette région des cas dramatiques de malnutrition. » Chaque centre partenaire de l’ASLAV possède un soignant spécialiste en malnutrition. Depuis 2018, des centaines d’enfants ont été sauvés. Plus de 400 enfants souffrants de malnutrition très sévère et mortelle ont survécus et plus de 1200 atteints de malnutrition modérés ne sont pas entrés en état de malnutrition sévère. Mais ce phénomène de malnutrition, infantile ou non, pourrait s’aggraver dans les mois qui viennent.
Depuis le début de la propagation du Covid-19, la situation socio-économique des plus pauvres s’aggrave de jour en jour en raison du confinement et de la limitation des importations et exportations.
Le confinement est source de misère
Le confinement total au Congo « est très difficile à vivre pour les plus pauvres. Certains vivent sous trois tôles, d’autres dans la rue », précise le docteur Salefran, « l’accès à l’eau est aussi un problème. » A Brazzaville, beaucoup de quartiers n’ont pas l’eau courante ni même de branchement. « L’eau est précieuse », souligne Lazare Mabona, « les gens vont loin pour aller chercher de l’eau dans des points communs. Les bidons sont très lourds à porter. L’eau est surtout utilisée pour la cuisine et non pour se laver les mains… »
Cette mesure de protection a également entraîné l’arrêt de l’économie informelle. « Dans mon pays, ce sont environ 60 % des familles qui en vivent uniquement », explique Lazare Mabona, « ils vivent au jour le jour avec ce qu’ils ont gagné au marché ou dans la rue. Beaucoup de familles n’ont plus de ressources pour vivre dignement. » A l’image de cet employé d’un centre de transfusion sanguine à Brazzaville qui s’est confié au docteur Michel Salefran : « Il m’a affirmé ne pas avoir été payé depuis le 17 mois, ce qui n’est pas surprenant malheureusement au Congo. C’est sa femme qui fait vivre la famille en travaillant dans la rue. Je pense qu’ils font partie des ménages qui souffrent le plus de la situation. » Ce phénomène est une des premières causes d’appauvrissement qui peut être, à long terme, le point d’achoppement d’une crise alimentaire. « Au Congo, tout ce qui est consommé est importé », explique Lazare Mabona, « Les fruits, légumes, viandes et poissons, produits localement, sont à des prix exorbitants et cela bien avant la pandémie Covid-19. Les familles les plus modestes ne peuvent pas se le permettre et se rabattent donc sur les produits surgelés qui viennent de l’extérieur : Europe, Amérique du Nord et du Sud, Inde… » Mais la fermeture des frontières limite les importations. « Il y en a quelques-unes mais les usines tournent au ralenti donc les commandes ne sont pas exécutées normalement. Nous avons d’importantes pénuries dans les grandes surfaces. » Depuis peu, les restaurants de rue ouvrent leurs portes trois jours par semaine. Une situation dramatique confirmée par sœur Krystyna. La religieuse travaille à Brazzaville et est responsable du Mouvement pour La Vie, une association qui accompagne les femmes enceintes en détresse. « Nous avons dû arrêter de faire fonctionner nos points d’écoute des femmes à cause du confinement », explique la religieuse, « mais notre mission est de protéger la vie sous toutes ses formes. » Depuis quelques semaines, sœur Krystyna reçoit de plus en plus de demandes d’aides notamment alimentaires. « Tout est à l’arrêt : il n’y a plus de taxi donc les laveurs de taxi n’ont plus d’argent, les boutiques sont fermées mettant ainsi dans la misère les couturières, les coiffeuses etc. Ils sont nombreux maintenant à venir à la paroisse pour demander de l’aide. » La religieuse confectionne des sacs de vivres qu’elle a pu acheter grâce au soutien d’urgence de la Fondation Raoul Follereau. « Je mets ce que j’arrive à trouver : du riz, de l’huile, des boîtes de sardines… Malheureusement, je n’ai pas beaucoup de place pour stocker. » Depuis le mois de mars, le confinement a rogné les réserves d’argent et de nourriture. « Une maman est venue me voir en pleurs : elle n’avait pas les moyens d’acheter un drap de linceul pour enterrer sa sœur. J’ai réussi à lui en acheter un mais cela montre bien que les gens n’ont plus rien. »
Un autre facteur d’aggravation est la profonde crise économique que traverse le pays depuis plusieurs années, au point d’être en défaut de paiement. Le Congo n’a jamais diversifié son économie et vit exclusivement de l’exportation d’hydrocarbures. La chute du cours du pétrole va s’avérer dramatique. « Tous les gros chantiers sont à l’arrêt et les investisseurs étrangers quittent le territoire petit à petit », explique le docteur Michel Salefran, « il est à craindre un taux de chômage affleurant les 60 % après la pandémie. »
Le président de la République du Congo a déclaré avoir créé, avec les dons d’acteurs privés, un fond de solidarité d’un montant de 1,4 milliards de francs CFA (1 000 francs CFA valent environ 1,5 €) auquel l’Etat ajoute 50 milliards de francs CFA, et un fond Covid-19 s’élevant à 1,1 milliards. Ces financements proviennent de donations privées. L’Etat congolais promet, en plus, un budget de dix milliards de francs CFA pour les aides sociales. Des aides qui bénéficieront à 200 000 ménages de Brazzaville, Pointe Noire et autres départements. « Je ne sais pas comment ils ont relevé les ménages qui en avaient besoin car tous ne sont pas recensés dans le cadastre civil… Nous verrons bien mais dans mon quartier de Brazzaville, je n’ai toujours pas vu ces aides », souligne Lazare Mabona.
Si certaines régions du Congo, comme la Likouala, n’ont aucune couverture sanitaire, les campagnes semblent être plus préservées du Covid-19 que ne le sont les villes. « Je suis très inquiet en cas de vagues de patients graves car nos hôpitaux, même dans les grandes villes, ne sont pas en mesure de tous les prendre en charge », déplore Lazare Mabona. Par ailleurs, la méconnaissance de la maladie au sein de la population et parfois des soignants entraîne des réactions de panique.
Les hôpitaux dans la tourmente
« Dans les grands hôpitaux, il doit y avoir entre 10 et 15 respirateurs », estime Lazare Mabona. Actuellement, seuls cinq hôpitaux, dont trois à Brazzaville, prennent en charge des patients atteints par le Covid-19. Avant la pandémie, le parcours des malades dans les structures de soins était déjà lacunaire. « Je connais un homme qui a eu une crise d’asthme. Dans un premier hôpital, on lui annonce qu’il n’y a pas d’oxygène. Dans un second, qu’il n’y a pas de personnel soignant. Dans un troisième hôpital, qu’il n’y a que des masques à oxygène pour les enfants. Dans un quatrième et dernier hôpital, il est enfin pris en charge mais trop tard et décède. Imaginez ce même cheminement avec des patients atteints du Covid-19… » Un sujet d’autant plus inquiétant qu’il n’y a pas de transport la nuit en raison des barrages et du couvre-feu.
« Au Congo, la première cause de fièvre est le paludisme », précise le docteur Salefran, « en général, les gens ne vont pas à l’hôpital pour cela. » L’association a rapidement mis en place des formations spécifiques à la prise en charge des patients atteints du Covid-19 afin de sensibiliser les soignants des dispensaires partenaires. « La seule chose que nous pouvons faire est d’agir de façon préventive. Nous les avons équipés en matériel de protection et nous avons travaillé sur un protocole de prise en charge. Ainsi, ils savent comment s’organiser si jamais ils détectent des cas. » L’association a créé un forum sur internet qui regroupe les 21 centres de santé partenaires. Une seule consigne est de mise : faire remonter toutes les questions et doutes sur le diagnostic ou la prise en charge. « Nous faisons le maximum pour que les gens ne soient pas seuls », affirme Lazare Mabona. La méconnaissance de la maladie suscite la confusion, la peur et parfois la psychose dans les hôpitaux publics. « Les soignants ne sont pas prêts… J’ai rencontré une femme à l’hôpital qui m’a raconté une histoire incroyable. Elle était sur le point d’accoucher. Une sage-femme l’auscultait avant de l’amener en salle de travail, pour l’accouchement, lorsque la future mère se met à tousser. La soignante se lève et sort en fermant la porte à clef. Il a fallu l’intervention d’un médecin pour forcer la porte et libérer la jeune femme. Elle a été immédiatement admise en salle de travail. Après enquête, le médecin demande à la sage-femme la raison de ces agissements : comme la femme a toussé, elle a eu peur qu’elle soit infectée par le Covid-19. » Aux yeux de Lazare Mabona, la population doit retrouver la confiance en les hôpitaux au risque de voir des pratiques d’automédication se répandre dans le pays.
« En Afrique, dans notre culture, nous faisons des bains de vapeur avec des infusions de feuilles de manguier ou d’avocatier. Les gens ne vont plus à l’hôpital mais se rabattent sur ce genre de remèdes. » Une situation d’autant plus probable avec la popularité fulgurante de la plante artémisia. Madagascar affirme que cette plante est un remède curatif et préventif efficace contre le Covid-19. Dans une interview accordée à la Radio France Internationale, le président du Congo Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, a annoncé avoir acheté des traitements à base d’artémisia ainsi que de la chloroquine selon le protocole du Professeur Raoult. Dans cet entretien, le président congolais affirme ne pas croire en une crise économique au Congo, certain que le prix du baril de pétrole va augmenter. Quoi qu’il en soit, les organisations humanitaires sur place sont véritablement inquiètes. « Cette crise sanitaire mondiale va avoir des conséquences dramatiques sur les plus faibles », conclut le docteur Michel Salefran.