Fabéré Sanon est président de l’Association Burkinabè pour l’Inclusion des Personnes Albinos (ABIPA). Lui-même atteint d’albinisme, il se bat depuis 1999 pour la protection, la prise en charge et l’inclusion des personnes albinos. Un combat qui se heurte à l’ignorance et la discrimination.

 

« J’ai difficilement vécu l’albinisme durant mon enfance. J’ai pris conscience de ma différence très jeune. Je faisais l’objet de beaucoup de moqueries dans mon quartier et surtout à l’école. Les enfants noirs m’appelaient « gombèlè » ce qui signifie « albinos » en dioula, langue locale surtout à Bobo-Dioulasso, ville où j’ai été scolarisé.

Une autre difficulté a été au niveau de mes parents qui ignoraient les conséquences de l’albinisme sur la santé. Comme mes frères non albinos, J’étais donc soumis aux travaux champêtres au soleil toute la journée sans protection adéquate. Il nous arrivait, mes deux petites sœurs atteintes d’albinisme et moi, de nous retrouver avec de grosses plaies que notre père s’attelait à soigner avant de repartir pour les champs.

 

A l’époque, en 1970, il n’existait pas de campagne de sensibilisation sur la maladie. Ce phénomène ou ce handicap n’était pas pris en charge ni par l’Etat ni par aucune structure de la société civile. On n’en parlait pas du tout donc on n’avait aucune information au Burkina Faso.

Par exemple, un jour, mon enseignant de la classe de CM1 convoqua mon père pour lui signaler que je ne voyais pas bien les écritures au tableau. Il lui conseilla de me faire ausculter par un médecin. L’ophtalmologue a conclu que j’étais né avec une myopie incorrigible. Il proposa à mon père de me trouver des verres pour me protéger du soleil, chose qu’il fit. Etant donné que ce n’étaient pas des verres correcteurs, il n’y a pas eu de changement. Alors, je demandais à mon voisin de table en classe de me dicte les résumés des leçons. Nous faisions très attention sinon le maître pourrait nous traiter de bavards et nous punir. Aucune disposition n’était prévue ou initiée par les enseignants pour m’aider en classe. Cette situation ne m’a pas permis d’avoir un bon parcours d’étude alors que mes enseignants me trouvaient intelligent. »

 

Pourquoi avoir créé l’ABIPA ?

 

« L’ABIPA a été créée en 1999 pour offrir un cadre officiel de rencontre aux personnes atteintes d’albinisme et à leurs parents pour poser les problèmes consécutifs au phénomène de l’albinisme. Avant sa création, il n’existait aucune structure qui prenait en compte les préoccupations de cette catégorie de personne. Les missions de l’association sont de promouvoir et protéger les droits des personnes atteintes d’albinisme ; parvenir à leur inclusion socio-économique et culturelle. Les ambitions de l’ABIPA sont d’établir un fichier de toutes les personnes atteintes d’albinisme au Burkina Faso, mettre en place un système pour leur suivi en collaboration avec les communautés à la base et les municipalités. Il faudrait aussi mettre en place un dispositif holistique de prise en charge des personnes atteintes d’albinisme. »

 

A ce jour, pouvez-vous faire un point de situation sur l’albinisme au Burkina Faso ? A quelles difficultés sont confrontées les personnes atteintes d’albinisme ?

 

« L’albinisme est inégalement repartit au Burkina Faso. Sur treize régions, il y a plus de cas dans celles des Cascades, du Centre-est et des Hauts-Bassins. En 2019, l’ABIPA a mené une étude dans les provinces de la Comoé et du Houet, qui a permis de recenser 1 279 personnes atteintes d’albinisme. Dans les autres localités où il n’y a pas eu d’étude nous estimons à 500 celles que nous connaissons. Il y a donc nécessité de faire une étude à travers tout le pays pour disposer des statistiques précis.

Les personnes atteintes d’albinisme sont confrontées à la méconnaissance du phénomène par la société. Ces populations ne tiennent pas compte de leur handicap pour les inclure dans les activités du milieu.

Sans protection, les personnes atteintes d’albinisme peuvent développer de graves cancers de la peau. Crédits : Marie-Charlotte Noulens

Sur le plan de la santé, les personnes atteintes d’albinisme ont des déficiences oculaires. Elles ont des risques importants de contracter un cancer de la peau en raison du soleil, de l’insuffisance de protection des yeux et de la peau. Cela est dû surtout à l’ignorance du phénomène par les parents et aussi de la négligence de certaines personnes atteintes d’albinisme elles-mêmes.

Les difficultés dans le domaine de l’éducation sont surtout le manque de formation des enseignants pour la prise en charge des enfants albinos, tous malvoyants. L’Etat fait des efforts à ce niveau à travers l’éducation inclusive mais des difficultés demeurent toujours. Le manque d’emploi est également une difficulté chez les personnes atteintes d’albinisme.

Sur le plan social, il existe beaucoup de préjugés sur la personne atteinte d’albinisme. Elle est considérée comme un être à part et son inclusion est donc difficile. Par exemple, certains parents refuse d’établir l’acte de naissance de leur enfant parce qu’il est atteint d’albinisme. D’autres ont refusé le mariage de leur enfant avec une personne atteinte d’albinisme ou ont exigé aux enseignants que leur enfant ne soit pas assis sur le même table-banc qu’un enfant atteint d’albinisme en classe. »

La Fondation Raoul Follereau a financé des chapeaux pour les membres de l’ABIPA. Crédits : Marie-Charlotte Noulens

 

Quelles sont les prises en charge aujourd’hui ?

 

« A la création de l’association, nous ne connaissions pas l’ampleur des problèmes de santé chez les personnes atteintes d’albinisme. En peu de temps, nous avons enregistré des cas graves de cancer de la peau et nous avons fait de cette question de santé, notre cheval de bataille à l’ABIPA. Nous sommes entourés de médecins spécialistes tels que les dermatologues, les ophtalmologues pour nous aider dans ce domaine.

L’ABIPA a adhéré au réseau pour la promotion de l’éducation inclusive, une structure qui collabore avec le ministère de l’éducation nationale pour la prise en charge de l’éducation des enfants handicapés. A titre d’exemple, l’ABIPA a obtenu la mise en place de services en charge d’organiser les examens scolaires et l’agrandissement de la police d’écriture des sujets pour les candidats atteints d’albinisme.

Dans la mesure de ses possibilités et avec l’appui des partenaires, l’ABIPA soutient la formation professionnelle et l’installation des jeunes, hommes et femmes atteints d’albinisme en qualité d’auto-entrepreneurs.

Des campagnes de sensibilisation sur l’albinisme sont menées tout au long de l’année par l’ABIPA. Elles visent les personnes atteintes d’albinisme, leurs parents, les enseignants, les autorités et la communauté toute entière. Les activités sont tenues en petits groupes au siège de l’association, dans les écoles ou dans les familles. De grands regroupements sont faits pendant les célébrations des journées internationales de sensibilisation à l’albinisme les 13 juin ou à travers d’autres manifestations. Des campagnes sont souvent menées dans les provinces pour toucher les populations et autorités locales.

Il faut noter que pour ses multiples actions en faveur des personnes atteintes d’albinisme, le gouvernement du Burkina Faso a décerné à l’ABIPA en 2008, la médaille de Chevalier de l’Ordre du Mérite de la Santé et de l’Action sociale avec agrafe «Action sociale». Dix ans plus tard, l’ABIPA a été fait Officier de l’Ordre du Mérite de la Santé et de l’Action Sociale. »

Les personnes atteintes d’albinisme sont souvent discriminées à l’embauche. Crédits : Marie-Charlotte Noulens

 

Quel message voulez-vous faire passer ?

 

« Mon message est d’interpeller les autorités afin qu’elles prennent des décisions politiques fortes pour la santé, l’éducation et l’emploi des personnes atteintes d’albinisme au Burkina Faso. Dans le domaine de la santé, l’Etat doit prendre en charge les cancers de la peau. L’ABIPA et les parents seuls ne le peuvent pas en raison du coût élevé des soins. En 2019, la Fondation Raoul Follereau a soutenu l’intervention chirurgicale d’une femme atteinte d’albinisme vers Bobo-Dioulasso, ce qui a permis de lui sauver la vie. Nous remercions cette fondation pour l’accompagnement qu’elle apporte à l’ABIPA depuis 2018 dans tous ses domaines d’activités.

Mais le dépistage tardif et le manque de moyens financiers de l’association et des familles sont souvent fatals pour bon nombre de personnes atteintes d’albinisme. C’est ainsi que nous avons enregistré deux décès de nos membres le 17 mars à Djibo et le 1er avril à Nouna cette année 2020. La 3ème personne (de Sidéradougou province de la Comoé) est dans un état critique selon les médecins.

Le manque de véhicule est aussi un handicap pour l’ABIPA. En raison des nombreux déplacements notre véhicule, âgé de vingt ans, est endommagé et irréparable. Cela réduit la mobilité de l’association et limite ses interventions. Nous lançons donc un appel aux bonnes volontés pour nous aider à acquérir un autre véhicule.

Je remercie nos autorités du Burkina Faso et tous les partenaires qui soutiennent l’Association Burkinabè pour l’Inclusion des Personnes Albinos pour qu’elle offre aux personnes atteintes d’albinisme de meilleures conditions de vie.

Bonne célébration de la journée internationale à tous mes frères et sœurs atteints d’albinisme du monde entier ! »