Du 31 janvier au 12 février dernier, trois spécialistes français ont réalisé une mission chirurgicale bénévole à Madagascar, avec le soutien de la Fondation Raoul Follereau. Leur expertise a permis d’opérer 12 malades de la lèpre de séquelles à la main.
« La lèpre est tellement taboue que les malades se cachent et ne reçoivent pas de soins. Les griffes se rétractent, les articulations s’enraidissent » déplore le Dr Étienne Gaisne, chirurgien spécialiste de la main. La lèpre, ce praticien nantais la connait bien. Au début des années 1980, alors jeune interne, il partit en Inde, avec son épouse, pour son service militaire et deux ans de coopération au cours desquels il travailla dans la léproserie de Kumbakonam, à 140 km de Pondichéry. Il y consacra sa thèse à : la Place de la chirurgie dans le traitement de la lèpre en Inde du Sud. Rentré en France, il se spécialisa en chirurgie orthopédique et traumatologique. Au long de sa carrière, le chirurgien maintint son engagement auprès des malades de la lèpre, menant en Inde, jusqu’en 2019, des missions chirurgicales avec ses associés et un kinésithérapeute, Claude Le Lardic. Arrivé à la retraite en 2023, le Dr Gaisne cherchait à se mettre à nouveau au service de ces malades négligés : « c’est par la lèpre que j’ai commencé la chirurgie de la main. Si je tiens encore le bistouri prêt, même à la retraite, c’est pour soigner les malades de la lèpre et transmettre les techniques opératoires ».
Plus de 1000 km parcourus par certains patients
Dans les Hautes terres de Madagascar, à quelques kilomètres de la ville de Fianarantsoa, les sœurs de Saint Joseph de Cluny soignent, depuis plus de 150 ans, les malades de la lèpre dans le centre de Marana. C’est là que le Dr Gaisne accompagné du Dr Michel Ébelin, chirurgien orthopédiste spécialiste de la main et du pied, ont effectué un premier voyage, en 2024, pour évaluer la faisabilité d’une mission chirurgicale. « Si la lèpre se traite médicalement, seuls 3% des malades de la lèpre peuvent être opérés des séquelles dont ils souffrent » précisent-ils.
Les deux chirurgiens ont alors rencontré les médecins du Programme national de lutte contre la lèpre et de la Fondation Raoul Follereau. Un an plus tard, le bloc opératoire du centre de Marana réhabilité et les patients opérables identifiés, les deux chirurgiens sont revenus, avec le kinésithérapeute Claude Le Lardic, pour opérer les malades et former les soignants. Des centres d’Ambanja, de Mananjary, d’Ambatoabo et d’Ampasy, d’Antananarivo et de Marana, sont ainsi arrivés 12 malades, chacun veillé d’un soignant, après un trajet de plus de 1000 kilomètres pour certains. La mission a été organisée et financée par la Fondation Raoul Follereau.
Toutes les séquelles ne sont pas opérables
« La sensibilité ne peut être rendue à ces malades, mais l’objectif était de les soulager et leur rendre une certaine mobilité » indique le Dr Michel Ébelin dont c’était la première mission auprès de malades de la lèpre. Trois types d’opérations ont été pratiquées par les chirurgiens français, en présence de deux homologues malgaches : d’une part, des neurolyses (libération des nerfs) pour les patients souffrant d’inflammation douloureuses, d’autre part des transferts de tendons pour les patients présentant des griffes et ceux présentant une paralysie de l’opposition du pouce. « Ces opérations n’auraient pas été possibles sans la disponibilité des religieuses-soignantes de Marana et l’excellence du travail de l’anesthésiste venu du CHU voisin » salue le Dr Ébelin. De telles opérations permettent une amélioration sensible de la vie quotidienne des patients qui pourront, après la rééducation, saisir de nouveau des objets tels qu’un gobelet ou une houe pour cultiver leurs champs.

En présence de leurs homologues malgaches, les chirurgiens ont réalisé 14 opérations pour les 12 patients souffrant de séquelles de la lèpre. ©FRF
Un enjeu-clef : former les soignants à la prévention des paralysies
« [Dans les pays où la lèpre est endémique], les médecins s’occupent des traitements et du soin des plaies. Mais d’autres soignants ont tendance à accepter la situation et non à se battre contre les paralysies » constate Claude Le Lardic, « ces derniers ont besoin d’informations pour prévenir les séquelles par des massages, des assouplissements. » En février dernier, à Madagascar, la mission du kinésithérapeute nantais était triple : préparer les patients en amont des opérations en travaillant sur leurs raideurs articulaires, protéger les membres altérés des patients par des attèles ou des orthèses fabriquées avec du matériel local, et surtout former les soignants à la préparation des patients et à la rééducation post-opératoire par le renforcement musculaire. « Leurs connaissances étaient hétéroclites, certains avaient des craintes sur la surveillance post-opératoire : quand le patient pourra-t-il reprendre appui sur sa main ? quand pourra-t-il serrer un objet sans se blesser ? etc. » a-t-il pu relever, « l’objectif était de leur montrer que quelque chose était possible, et cela leur a rendu espoir. »
À l’issue des 4 jours d’opérations et de formation, le bilan formulé par les trois praticiens est très positif quant à l’organisation, l’accueil et la disponibilité des soignants. Sur le plan personnel, chacun semble avoir été marqué :
« Le regard des patients voyant qu’on s’occupe d’eux… cela me suffit » Claude Le Lardic
« C’est une expérience personnelle qu’on n’oublie pas » Dr Michel Ébelin
« Il y avait une excellente ambiance entre collègues français et malgaches. J’ai une grande admiration pour toutes ces personnes qui s’occupent des malades toute l’année, dans l’isolement » Dr Étienne Gaisne
Quant à l’avenir, les chirurgiens retraités ont à cœur de transmettre à des collègues plus jeunes leurs connaissances de la lèpre et ce souci d’aller aider les autres. Et la relève se met en place, se réjouit le Dr Gaisne : « Un jeune associé français est déjà prêt à se former et à partir avec nous pour une prochaine mission ! »